La Commission entend M. Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), sur le plan d’action concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS).
M. le président Gilles Carrez. Les questions dont traite le plan d’action de l’OCDE concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, mieux connu sous son acronyme anglais de BEPS, pour base erosion and profit shifting, sont régulièrement au centre de nos débats en commission et en séance publique et font l’objet, sur chaque projet de loi de finances, de nombreux amendements. Elles sont également au cœur du rapport d’information présenté en juillet 2013 par nos collègues Pierre-Alain Muet et Éric Woerth sur l’optimisation fiscale des entreprises dans un contexte international. Si certaines des propositions législatives inspirées par ces travaux se sont heurtées à un refus du Conseil constitutionnel, je sais d’expérience qu’à force de ténacité il est possible de faire bouger les lignes.
Monsieur Saint-Amans, après avoir exercé des fonctions au ministère des finances, vous travaillez depuis 2007 auprès de l’OCDE, où vous avez d’abord été chef de la division de la coopération internationale et de la compétition fiscale. Depuis 2012, vous êtes directeur du Centre de politique et d’administration fiscales.
La récente mise en place de l’échange automatique d’informations témoigne du rôle moteur que joue l’OCDE dans le domaine des relations fiscales entre les États. C’est ainsi qu’en 2013, à la demande du G20, elle a présenté un plan d’action concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices. Parmi les quinze actions qu’il préconisait, le plan estimait que la plupart d’entre elles devaient être menées à bien à l’horizon d’une ou deux années. Près de deux ans plus tard, quel bilan pouvez-vous tirer de ce plan d’action ?
M. Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Je vous remercie de votre invitation, qui me permet de vous informer « au fil de l’eau » des travaux réalisés par l’OCDE.
Je reviendrai d’un mot, avant d’aborder le sujet qui nous intéresse, sur l’échange automatique d’informations, que vous avez mentionné. En 2009, l’OCDE, avec le soutien du G20, a demandé à tous les États du monde de mettre un terme au secret bancaire en pratiquant l’échange de renseignements à la demande. Puis, en 2013, toujours sous l’impulsion du G20, une étape supplémentaire a été franchie avec le passage à l’échange automatique d’informations. Nous avons, dans cette optique, développé un standard d’échange, qui est une multilatéralisation de la loi américaine FATCA – Foreign Account Tax Compliance Act – et doit permettre à tous les États de bénéficier, à partir de 2017, de l’échange automatique de renseignements. En d’autres termes, le fisc français recevra les informations sur le solde, les intérêts, les dividendes ou les transactions concernant les comptes bancaires détenus, directement ou indirectement, par des résidents français en Suisse, à Singapour, à Jersey, à Guernesey ou ailleurs. Tous les pays du monde s’y sont engagés, à l’exception de Panama, et, d’ores et déjà, plusieurs milliers, voire dizaines de milliers, de personnes se sont manifestées pour déclarer des actifs dissimulés dans des États qui pratiquaient le secret bancaire. La France a ainsi annoncé qu’elle avait collecté 2 milliards d’euros l’an dernier et qu’elle comptait en collecter autant cette année ; sur une vingtaine de pays de l’OCDE, ce sont au total 37 milliards d’euros d’impôts qui auraient déjà été récupérés.
Le second pilier des travaux fiscaux du G20, qui peut se targuer d’une réelle réussite en la matière, concerne la lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices. Il s’agit d’empêcher que des entreprises multinationales, étrangères et françaises, implantées dans le monde entier réduisent significativement leur base taxable en localisant une partie de leurs bénéfices dans des juridictions à faible fiscalité, voire sans fiscalité du tout. Ce phénomène, qui s’est accru avec la globalisation, est devenu d’autant plus intolérable que, avec la crise, la pression fiscale s’est accrue : l’impôt sur le revenu a augmenté partout, et des hausses de TVA ont été votées dans vingt-sept des trente-trois pays de l’OCDE qui appliquent une TVA – seuls les États-Unis n’en ont pas. Or, il n’est plus supportable pour les contribuables, à un moment où les facteurs de production non mobiles sont davantage taxés que les facteurs mobiles, de découvrir que le taux effectif d’imposition des multinationales est très inférieur au taux d’imposition effectif des entreprises purement domestiques. D’où le plan d’action que nous avons proposé au G20 en 2013.
Les frictions fiscales entre États souverains ne datent pas d’hier et, dès les années 1920, la SDN avait déjà développé un modèle de convention fiscale, repris depuis par l’OCDE, destiné à empêcher les phénomènes de double imposition qui constituent un obstacle à la croissance en freinant les investissements transnationaux. Ce modèle de convention fiscale stipule notamment en son article 9 que les prix de cession interne, c’est-à-dire concernant des cessions effectuées à l’intérieur d’un groupe, doivent refléter la réalité économique, de manière que les États concernés puissent taxer ce qui leur revient. Sauf que la globalisation a miné ces règles et sapé les fondements de la souveraineté fiscale des États, ce qui nous a poussés à proposer au G20 un plan d’action en quinze mesures, réparties autour de trois axes principaux.
Le premier axe a consisté à élaborer de nouvelles règles s’appliquant aux interstices qui subsistent entre les législations des États souverains et dont profitent les entreprises grâce, en particulier, aux produits dits « hybrides », dont la taxabilité ou la déductibilité varie selon les pays. Pour illustrer mon propos, je prendrai l’exemple d’un groupe français qui a une filiale en Italie – ou l’inverse. L’entreprise, qui veut effacer les profits importants de sa filiale, va prêter à celle-ci, qui n’en a pas nécessairement besoin, de l’argent via un produit hybride. En contrepartie de ce prêt, la filiale va verser à la société mère des intérêts, fiscalement déductibles, qui vont donc réduire sa base d’imposition. Il ne restera plus qu’à charger un avocat fiscaliste – même pas coûteux, car il s’agit d’un montage financier assez simple – de rendre les obligations italiennes convertibles en actions en France, où les dividendes sont exemptés à hauteur de 95 %. Le processus aboutit in fine à la création d’un crédit d’impôt sans taxation corrélative en France. On voit par cet exemple, mais ce n’est pas le seul, que dans un monde globalisé où il n’y a pas de coordination entre États, la souveraineté mine la souveraineté.
Dans ce domaine des produits hybrides, dénué de toute règle de fiscalité internationale, nous avons imaginé quatre mesures pour pallier le manque de coordination et renforcer la coopération.
En premier lieu, nous avons élaboré un modèle de législation interne permettant la neutralisation de ces dispositifs hybrides. Mis en œuvre par tous les États, il permettrait de mettre un terme à ces pratiques d’optimisation.
En deuxième lieu, nous allons également proposer, en septembre 2015, un modèle de législation, compatible avec le droit communautaire, concernant les dispositifs anti-abus visés à l’article 209 B du code général des impôts, notamment la législation sur les sociétés étrangères contrôlées ou controlled foreign corporations – CFC.
En troisième lieu, nous travaillons à une approche globale, de l’ensemble des pays, de limitation de la déduction fiscale des intérêts non versés à des créanciers externes. En effet, les groupes multinationaux génèrent souvent une dette interne, correspondant à des prêts intragroupe, dix ou cent fois supérieure à leur dette externe, et déduisent de leur base imposable un montant d’intérêts bien supérieur à ceux qu’ils ont en réalité versés à des tierces parties.
En quatrième lieu, enfin, nous nous efforçons de lutter contre les pratiques fiscales dommageables, en encadrant notamment l’usage des rescrits (rulings). C’est dans cette optique que le G20 a approuvé, en novembre dernier, à Brisbane, l’accord de l’OCDE portant obligation pour un État X – que son nom comporte ou non un x ! – qui délivre un rescrit toxique pour ses partenaires de leur en communiquer automatiquement la teneur. Les trente-quatre pays de l’OCDE, ainsi que tous les pays du G20, mais aussi la Colombie et la Lettonie qui sont en voie d’accession à l’OCDE, soit au total quarante-quatre pays, ont accepté l’accord, et nous nous réjouissons que l’Union européenne le transpose prochainement en directive.
Notre deuxième axe d’action consiste à réparer, d’une part, les conventions fiscales et, d’autre part, les règles de prix de transfert. Il est établi que les entreprises abusent des traités et pratiquent le chalandage fiscal ou treaty shopping. On sait, par exemple, que 27 % de l’investissement direct en Inde passe par l’Île Maurice : si vous êtes Français et que vous voulez investir en Inde sans payer d’impôt sur les plus-values en Inde, il vous suffit de passer par l’Île Maurice, où vous bénéficierez d’une fiscalité très avantageuse. Afin d’éviter ces abus, un standard minimum a été adopté, qui a fait l’objet d’un accord en novembre dernier.
Nous proposons également une modification de l’article 5 de notre modèle de convention fiscale, afin de réviser les conditions dans lesquelles une société peut être taxée dans un pays où elle a une activité mais ne possède pas de filiale. En effet, les défaillances de l’article 5 ont permis à de très nombreux groupes internationaux de transformer, au cours des années 1990, leurs distributeurs en commissionnaires, ce qui, très concrètement, leur a permis de faire chuter leurs profits déclarés de 15 ou 20 % à 2 ou 3 %, les commissionnaires étant rémunérés à la commission. Cette manœuvre permet de transférer les risques dans une entité généralement située aux Pays-Bas, en Irlande ou aux Bermudes et de faire chuter les profits sans réorganiser l’activité concrète. Effective en septembre prochain, cette révision devrait être entérinée par les chefs d’État et de gouvernement lors de la réunion du G20 à Antalya, en novembre.
En ce qui concerne les prix de transfert, l’absence de règles claires permet aujourd’hui à des sociétés de localiser leurs biens incorporels dans des entités vides localisées aux Bermudes ou dans des paradis fiscaux. Ainsi, les profits cumulés des sociétés américaines localisés aux Bermudes et aux Caïmans – qui hébergent tous les brevets de l’industrie pharmaceutique et où aboutissent tous les retours sur investissement – sont-ils aujourd’hui évalués à 2 000 milliards de dollars. Nous nous efforçons donc de modifier les règles pour faire échec à ces schémas.
Enfin, le troisième axe de notre action porte sur la transparence. Il faut faire en sorte que les entreprises déclarent leurs schémas fiscaux agressifs. Nous avons en la matière l’exemple des déclarations de montage, aux États-Unis ou au Royaume-Uni, qui fonctionnent plutôt bien. Vous avez, de votre côté, fait une première tentative, et peut-être en ferez-vous une nouvelle. Nous allons, en tout cas, proposer un modèle de législation fondé sur ce qui se fait de mieux dans les différents pays en termes d’efficacité, en nous efforçant évidemment de le rendre compatible avec le droit communautaire et avec les exigences de constitutionnalité afin de garantir la plus grande sécurité juridique aux contribuables.
Une autre mesure extrêmement importante politiquement concerne le reporting pays par pays. Elle a fait l’objet d’un accord présenté aux chefs d’État et de gouvernement du G20 en novembre dernier. Tous les pays se sont engagés à demander à leurs multinationales de leur fournir un schéma retraçant la localisation, dans tous les pays où elles opèrent, de leur chiffre d’affaires, de leurs profits, de leurs impôts, des personnes employées et des actifs déployés. Une société contrainte de révéler que tous ses employés sont basés en Chine et en Inde, que son chiffre d’affaires est enregistré en France et en Allemagne et son profit aux Bermudes y réfléchira sans doute à deux fois avant de devoir s’en justifier devant son conseil d’administration puis devant l’administration fiscale.
Enfin, deux autres mesures concernent, l’une, l’économie numérique, l’autre, la création d’une convention multilatérale permettant une application immédiate des dispositions permettant la lutte contre l’évasion fiscale. Le secrétaire général de l’OCDE a signé aujourd’hui une lettre d’invitation à tous les pays du monde afin qu’ils négocient une convention amendant automatiquement les conventions bilatérales existantes. Ainsi, le Gouvernement, au lieu de vous solliciter toutes les trois semaines pour ratifier une convention fiscale, n’aura-t-il plus qu’à vous demander de modifier en une seule fois les cent dix conventions fiscales françaises.
En termes de calendrier, nous nous sommes donné un délai de deux ans. Bien que le sujet soit extrêmement complexe et qu’il suscite des divergences de vue extrêmement profondes entre les pays émergents, les pays européens, les États-Unis et le Japon, en particulier sur la répartition du profit une fois qu’il aura été mis fin à la double non-imposition, nous devons profiter de l’impulsion politique donnée par les dirigeants du G20 pour avancer rapidement, selon une feuille de route claire.
Sept mesures ont déjà été concrétisées ; huit autres seront présentées aux ministres des finances lors de la réunion mondiale du FMI, qui doit se tenir en octobre à Lima, avant d’être discutées lors du sommet du G20 en novembre. Vous serez sans doute appelés ensuite à légiférer sur plusieurs de ces mesures permettant de protéger la base taxable française, dans un mouvement de convergence mondiale qui rendra les dispositifs mis en œuvre plus efficaces que s’il s’agissait de décisions unilatérales. L’on parle ici de 90 % de l’économie mondiale, et je précise qu’une quinzaine de pays en développement ont rejoint nos travaux au cours des trois derniers mois.
M. le président Gilles Carrez. Ce que vous nous dites est d’autant plus important que nous assistons depuis plusieurs années à une érosion du produit de l’impôt sur les sociétés, dont on peut craindre, au train où vont les choses, qu’il tende bientôt vers zéro.
L’OCDE agit à la demande du G20, afin de faire évoluer un certain nombre de dispositifs, lesquels seront ensuite intégrés dans les règles qui régissent la fiscalité dans chaque pays concerné. Je m’interroge néanmoins sur la hiérarchie des normes, car plusieurs amendements que nous avions déposés et qui s’inspiraient pourtant des recommandations de l’OCDE ont été censurés par le Conseil constitutionnel. Comment empêcher que certains pays chargent leurs autorités judiciaires de mener des combats d’arrière-garde et de rendre impossible l’intégration du résultat de vos travaux dans la norme juridique nationale ?
Mme Arlette Grosskost. Les administrations fiscales des différents pays sont-elles prêtes à faire face à la multiplication des contentieux qui peuvent découler de vos propositions ?
M. Pierre-Alain Muet. Je tiens à saluer le formidable travail accompli par l’OCDE et tout particulièrement par M. Saint-Amans : si les choses ont évolué depuis deux ans, c’est largement grâce à l’OCDE et à la pression morale qu’elle exerce, en particulier sur l’Europe qui, sans cela, n’aurait sans doute jamais élaboré la directive sur les rulings. Mais, à la différence de l’Europe qui, en matière fiscale ne peut travailler qu’à l’unanimité, l’OCDE n’est pas soumise à l’obligation de légiférer, et c’est sans doute cela qui fait sa force. Quant à la difficulté que nous avons rencontrée avec certains de nos amendements jugés incompatibles avec le droit national, je reste convaincu, au regard des récentes évolutions internationales, que l’on doit pouvoir continuer d’avancer.
Ne nous le cachons pas, les paradis fiscaux sont au cœur de l’Europe. Profitant, d’une part, d’une règle américaine en vertu de laquelle tant que des profits ne sont pas rapatriés, ils ne sont pas imposés et, d’autre part, des possibilités légales d’optimisation fiscale offertes par l’Irlande ou le Luxembourg, les grandes multinationales américaines échappent à l’impôt. Google possède ainsi en Irlande deux sociétés : la première, qui recueille les profits, et la seconde, qui possède la marque mais n’est pas irlandaise puisqu’elle réunit son conseil d’administration aux Bermudes et profite donc du régime fiscal qui s’y applique, même si, en réalité, l’argent reste en Europe. Certes, l’Irlande s’est engagée, me semble-t-il, à remédier à cette situation, mais c’est encore pire au Luxembourg. Amazon y a deux sociétés : l’une réalise le chiffre d’affaires européen et devrait donc s’acquitter de l’impôt sur les sociétés ; au lieu de cela, elle reverse une redevance considérable à une seconde société qui possède la marque, basée également au Luxembourg et exonérée d’impôts sur le revenu des sociétés. Dès lors, Amazon n’est taxée ni aux États-Unis ni en Europe. Il faut donc que la pression politique soit suffisamment forte pour interdire dorénavant aux États de mettre en œuvre des dispositifs non coopératifs qui nuisent à la concurrence. C’est d’ailleurs grâce à ce levier que la Commission européenne peut désormais tenter d’agir. Restera ensuite à s’accorder sur la manière de répartir la base imposable entre les différents pays, ce qui doit sans doute nous conduire à approfondir la notion d’établissement stable.
En matière de transparence, des progrès importants ont été faits en ce qui concerne les banques, qui doivent désormais publier leurs interventions pays par pays. L’OCDE recommande d’élargir cette obligation aux sociétés multinationales ; le Parlement européen y réfléchit également. Cela permettra de compléter l’échange d’informations sur les rulings.
En ce qui concerne la réforme de notre législation, la dizaine de propositions introduites dans la loi de finances pour 2014 émanaient toutes du rapport que nous avions produit avec Éric Woerth, lequel s’inspirait des travaux de l’OCDE, menés quasi concomitamment. Nous proposions entre autres que lorsqu’un produit n’est pas taxé dans un autre pays, il ne puisse échapper à la taxation en France, ce qui aurait permis de lutter contre les produits hybrides.
Dans le domaine du numérique, enfin, de nombreuses propositions ont été faites, dont aucune à ce jour n’a réellement abouti, faute de consistance. Notre rapport préconisait de développer le concept d’établissement stable ; certains proposent aujourd’hui de taxer la bande passante. Où en est l’OCDE sur cette question ?
Quant à votre proposition consistant à amender automatiquement les conventions fiscales bilatérales, je la trouve formidable.
M. Marc Goua. Nous avons récemment institué dans notre pays des sociétés fiduciaires. Or, elles favorisent grandement la fraude fiscale dans la mesure où l’on ne sait qui en est propriétaire. Envisage-t-on de modifier cette loi sur la fiducie ?
M. Dominique Lefebvre. Tous les États qui voient fondre leur base fiscale s’accordent sur un diagnostic qui ne fait plus débat. En revanche, les modalités pour y remédier continuent de poser problème et tous ne s’accordent pas sur ce qui relève de la souveraineté nationale et sur ce qui doit faire l’objet d’une démarche internationale concertée, sachant que, dans le contexte globalisé qui est le nôtre, agir seul peut conduire dans le décor.
Se pose également la question de la sécurité juridique, qui fut au cœur de nos débats de décembre 2013 et a motivé les décisions du Conseil constitutionnel. Comme il ne s’agit ni de contester ces décisions ni de tenter d’avoir la juridiction à l’usure, de quelles solutions disposons-nous pour faire progresser notre législation ?
En ce qui concerne la localisation des profits, que répondez-vous à l’Association française des entreprises privées – AFEP –, selon qui l’application des règles que vous préconisez se ferait au détriment des grandes entreprises françaises qui rapatrient leurs profits en France au nom de l’intérêt national, avec des effets très négatifs sur notre base taxable ? Comment appréciez-vous ces propos ?
M. Éric Alauzet. Merci pour ce travail colossal de l’OCDE. Je me félicite aussi de ce que l’Union européenne ne se préoccupe plus seulement des dépenses des États, mais aussi de leurs recettes. C’est sans doute un moyen d’aider vraiment la Grèce ! Certains se trouvent dans la position de l’arroseur arrosé : bien qu’ils pratiquent des taux d’impôt sur les sociétés très bas, ils sont eux-mêmes spoliés. Le problème va donc bien au-delà de la question du niveau des taux.
Les grandes entreprises françaises, Dominique Lefebvre l’a dit, nous font savoir leur inquiétude, tant pour leur future imposition en France que parce que d’autres États pourraient les imposer plus fortement, au motif que l’activité de ces entreprises se fait sur leur sol. En effet, l’OCDE propose que la taxation se fasse sur la base de la réalité des activités. Mais les arguments de ces entreprises sont fragiles : aujourd’hui, les profits ne sont finalement taxés nulle part !
Nous nous échouons régulièrement sur les censures du Conseil constitutionnel. Vous ne pouvez pas forcément vous exprimer sur ce sujet, tout comme nous d’ailleurs. Mais dans certains pays, la déclaration des schémas d’optimisation fiscale est passée dans les faits : que la France ne puisse avancer sur ces questions est un vrai problème.
Pourrait-il être utile que certains pays anticipent les mesures proposées dans le cadre du plan d’action BEPS, comme cela a été le cas pour le reporting bancaire, où la décision française avait précédé de quelques mois la décision européenne ? Certains s’étaient émus des risques pour nos entreprises, mais si l’écart est seulement de quelques mois, je pense qu’anticiper peut créer une dynamique européenne.
En mettant au point vos mesures, avez-vous anticipé les contournements auxquels les entreprises pourraient se livrer ?
M. Pascal Cherki. Je prolonge les propos de mes collègues en vous remerciant, monsieur Saint-Amans, pour ce travail.
La question de l’établissement d’un rapport de forces politique est essentielle, et il est d’autant plus important que vous veniez prêcher la bonne parole dans les parlements nationaux : aujourd’hui, les données du problème sont connues, et nous sommes au moment des choix.
Qui va récupérer le produit de cette nouvelle matière fiscale ? L’une des solutions ne serait-elle pas que ce soit l’Europe, au moment où l’on parle de financer de grands investissements ? Cela permettrait d’alléger les contributions nationales, et notamment le prélèvement sur recettes qui finance le budget de l’Union européenne – ce qui entraînerait aussi une réduction des déficits publics nationaux. Je ne dis pas que l’on pourrait basculer rapidement vers ce système, mais n’y a-t-il pas là une réflexion stratégique à mener ? Si l’on veut construire l’Europe, il faut s’en donner les moyens financiers.
Comme l’a rappelé Dominique Lefebvre, l’AFEP – lobby puissant qui ne dit pas toujours des choses sensées – a récemment estimé que rendre publique l’activité des entreprises pays par pays fragiliserait la recette fiscale des pays d’origine. De leur point de vue, la transparence absolue serait l’échec de la régulation. Pensez-vous que cette assertion soit fondée ? Il est, par ailleurs, tout à fait normal qu’alors que nous nous posons la question de la nouvelle géographique économique, des pays comme l’Inde ou la Chine se la posent aussi. Nous ne pouvons pas exiger l’imposition en Europe de multinationales qui produisent en Europe et refuser l’application de ce même principe à d’autres pays, sous prétexte qu’ils sont d’anciens pays du tiers-monde et nous d’anciennes puissances coloniales. Pour avoir quelque chance de s’appliquer à l’échelle de la planète, la règle devra être universelle.
M. le président Gilles Carrez. Plus vos travaux progresseront, monsieur Saint-Amans, plus la question du critère de répartition du produit supplémentaire qui résultera de cette assiette élargie se posera : faut-il mesurer l’activité par rapport au chiffre d’affaires, aux salariés, à l’investissement qui a permis le développement des produits ? On voit ici tout l’intérêt de l’approche européenne que mettait en avant Pascal Cherki.
M. Pascal Saint-Amans. Merci de ces commentaires et de ces excellentes questions.
Je suis, en effet, régulièrement invité par différents parlements, européens mais pas seulement, puisque je me suis rendu il y a peu devant le Sénat américain. Y parler de fiscalité a été, pour le Français que je suis, une expérience que je qualifierai d’intéressante !
Sur le plan juridique, je souligne que la force – et la faiblesse – de l’OCDE est de ne faire que du « droit mou » : nous réunissons les pays et essayons de trouver des sujets sur lesquels ils acceptent de discuter, car ils sont souverains du point de vue fiscal. Rien ne limite cette souveraineté si ce n’est leur désir de discuter avec d’autres pays, et éventuellement de se mettre d’accord, s’ils le veulent bien, sur des normes communes. À l’OCDE, ces normes ne sont pas légalement obligatoires, elles ne constituent qu’un engagement moral.
De plus, dans ce cadre, les pays arrivent à des accords par consensus, ce qu’il faut bien distinguer de l’unanimité demandée par l’Union européenne. Avec l’unanimité, il faut que chacun dise oui ; à l’OCDE, une règle est acceptée quand plus personne ne dit non. La dynamique est très différente. Il n’y a pas d’obligation légale, je le répète, mais une fois que tous les États se sont mis d’accord, l’effet est réel.
Les conséquences de ces règles sur l’ordre juridique interne des États sont très variables. Prenons l’exemple de l’interprétation de l’article 9 du modèle de convention fiscale, dont s’inspirent les trois mille conventions fiscales bilatérales signées, et qui sont bien du droit dur. L’interprétation juridique de l’OCDE sur les règles de prix de transfert est suivie par la plupart des juridictions judiciaires ou administratives des quarante-quatre pays membres de l’OCDE et du G20. Il n’y a pas là besoin de transposition en droit interne.
En revanche, quand nous proposons dans l’un de nos rapports un modèle de législation que les États peuvent adopter pour se protéger des produits hybrides, il revient à chaque Gouvernement, chaque Parlement de décider, ou pas, d’agir. Chaque pays est souverain et peut aussi décider d’agir unilatéralement : nos propositions ne vous lient pas, ce ne sont pas des directives qu’il faudrait nécessairement transposer en droit interne. Mais si chaque pays peut décider pour lui-même, il faut prendre en considération l’équilibre entre souveraineté nominale et souveraineté réelle : dans un monde globalisé, des mesures unilatérales risquent surtout de n’avoir aucune efficacité. La voie de la coopération me paraît plus efficace, et c’est, je crois, ce que le plan BEPS est en train de provoquer.
S’agissant de la constitutionnalité des lois, nous ne pouvons, bien sûr, pas faire grand-chose. Nous pouvons faire connaître les meilleures pratiques, ce qui peut avoir son importance, notamment lors des discussions avec le Conseil constitutionnel sur la bonne compréhension des dispositions votées. Nos travaux prennent systématiquement en compte la question de la sécurité juridique, qui est cruciale : il faut, en effet, assurer aux contribuables la plus grande sécurité juridique possible. C’est une exigence constitutionnelle en France comme dans de nombreux autres pays.
Dans le domaine fiscal, où les États ont été très réticents à progresser, aussi bien sur l’échange de renseignements que sur la taxation des multinationales, nous nous acheminons vers une plus grande régulation à l’échelle internationale : les États doivent l’accepter pour être mieux armés face à des entreprises mondialisées. Que cela se fasse avec du droit mou, de façon souple mais globale, à l’OCDE – l’OCDE et le G20 représentent 90 % de l’économie mondiale, et de plus en plus de pays en voie de développement nous rejoignent – est plus acceptable par les États, et peut finalement être plus efficace qu’on ne pourrait le penser.
Nos travaux sont critiqués par certaines entreprises. Il existe des lobbies, des coalitions anti-BEPS, qui regroupent notamment de grands groupes américains, mais aussi français. Nous les écoutons ! Il n’y a pas un seul papier de l’OCDE qui soit adopté par les États membres sans avoir fait, à deux reprises, l’objet d’une consultation publique : des réunions publiques sont organisées, des commentaires écrits sont recueillis. Le risque de contentieux est bien réel ; si les règles ne sont pas claires, elles risquent d’être appliquées de manière très divergente d’un pays à l’autre, et les entreprises sont menacées de double voire de multiple imposition, ce qui n’est pas souhaitable. Il faut donc trouver un équilibre, et donc des règles aussi claires que possible, mais qui permettent vraiment de mettre fin à la double non-imposition : si les règles sont trop claires, elles permettent les abus. En donnant une sécurité juridique absolue, on ouvre des avenues absolues pour l’abus de droit, qui est un vrai problème ! Les administrations sont alors dépourvues de moyen de contrôle efficace. Nous essayons donc d’avancer sur cette corde raide.
Vous posez la question de la répartition des recettes fiscales nouvelles qui se profilent. En la matière, tous les pays sont quelque peu schizophrènes, à commencer par la France : vous voulez taxer Google, mais voulez-vous que l’industrie du luxe française soit taxée sur les marchés émergents ou en Chine ? Rassurez-vous, l’Allemagne, l’Espagne et d’autres se trouvent dans la même situation. Les Australiens trouvent le plan BEPS formidable, sauf dans le domaine des ressources naturelles, parce qu’ils estiment que leur industrie minière ne doit pas être taxée là où se trouvent les mines. Les États-Unis sont peut-être les moins schizophrènes, car si tout le monde veut taxer les entreprises américaines, les Américains ont peu de problème avec les multinationales ; toutefois, les groupes européens déduisent massivement des intérêts aux États-Unis, qui aimeraient récupérer des recettes sur ces sommes-là.
Aujourd’hui, tout le monde est d’accord pour dire que la taxation ne doit pas se faire aux Bermudes, c’est-à-dire dans un endroit où il ne se passe rien d’autre que des arrangements contractuels, et parfois pas même une réunion annuelle d’un conseil d’administration : c’est ce qui unit les États, et c’est ce qui nous permet d’avancer. Mais nos progrès vont, d’une part, raviver la compétition fiscale, et, d’autre part, exacerber les combats pour rapatrier la base taxable.
Cette plus vive compétition se traduira sans doute, logiquement, par une réduction des taux – si l’on élargit l’assiette, on peut imaginer une pression à la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés. C’est un débat qui se déroule actuellement aux États-Unis : le Congrès est engagé dans une discussion avec la Maison Blanche et le Trésor sur la réduction du taux de l’impôt sur les sociétés. Les États-Unis se sont en effet rendu compte avec consternation que leur taux d’imposition était supérieur au taux français...
Intuitivement, je dirais que nous nous acheminons vers une fourchette de 20 % à 30 % d’impôt sur les sociétés pour les grands États, et sans doute de 10 % à 20 % pour les petits États. Toutefois, si l’assiette est élargie, alors les recettes fiscales ne devraient pas diminuer, mais augmenter.
Dans la discussion sur la répartition du produit de ces nouveaux droits imposés, il y aura sans doute plus de contentieux entre les administrations fiscales. Mais, de fait, la Chine et l’Inde ont une population de 2,5 milliards de personnes ; leurs classes moyennes doivent représenter la moitié de la population totale de l’Union européenne, et s’accroissent très vite ; il est normal que ces pays souhaitent sécuriser leur base taxable. Il est d’autant plus important qu’ils soient intégrés à l’OCDE et participent aux discussions sur les règles communes, afin de limiter les conflits.
Ce que dit l’AFEP n’est pas faux, mais il faut adopter une perspective globale : la France, ainsi que tous les pays européens et le Japon, ont des systèmes territoriaux. Vous ne taxez les entreprises multinationales établies en France qu’à hauteur des profits réalisés en France ; les profits réalisés par leurs établissements stables à l’étranger ne sont pas taxables en France, même si parfois une partie des charges relatives à ces établissements stables sont déductibles en France, ce qui constitue un avantage fiscal important. En second lieu, les dividendes rapatriés sur les profits réalisés par les filiales sont exemptés en France à hauteur de plus de 90 %. Notre système est territorial, mais taxe-t-on correctement les incorporels, de l’industrie du luxe ou de Google par exemple ? Où est l’incorporel, où a-t-il été développé, où doit-il être taxé, quelle est la part du marché et de la consommation ? Voilà les questions que nous devons nous poser.
Je parle bien ici de l’impôt sur les sociétés, qui est un impôt sur le profit – profit qu’il faut d’ailleurs décider comment calculer. Une autre question se pose, celle de l’impôt sur la consommation. Dans l’économie numérique aujourd’hui, notamment pour les services dématérialisés, la TVA n’est même pas prélevée. L’une des mesures qui sera mise au point d’ici au mois de novembre proposera une approche mondiale des problèmes de TVA sur les services dématérialisés. Un forum mondial sera réuni au mois d’octobre pour adopter des règles, qui sont celles qui viennent d’être adoptées par l’Union européenne : la taxation se fait à la destination, avec l’obligation de disposer d’un représentant fiscal dans le pays de destination pour acquitter l’impôt. Cela permettra de rétablir une concurrence beaucoup plus juste, notamment dans les référencements de prix : si vous ne facturez pas la TVA, votre prix est plus bas, et donc proposé en haut de la page par les moteurs de recherche ; le consommateur clique plus souvent, vous vendez plus, ce qui vous permet d’être encore moins cher... C’est donc un triple avantage.
Les entreprises de l’économie numérique ont été très performantes pour mettre en place des planifications fiscales agressives et profiter de doubles non-impositions ; nombre d’entre elles ont localisé leurs incorporels – leurs algorithmes, en l’occurrence – aux Bermudes. Nous travaillons beaucoup, je le souligne, avec Google, et notre relation de travail est tout à fait constructive, bien plus qu’avec d’autres entreprises américaines. J’ai rencontré le numéro deux de Google il y a plus d’un an, et il m’avait déclaré qu’il comprenait que la localisation aux Bermudes de son incorporel n’avait pas de sens économique ; il a ajouté : « Google le fait parce que c’est légal ; si vous voulez changer cette règle, faites-le, à condition de la changer pour tout le monde. »
Nous allons mettre fin à la double non-imposition, qui constitue une vraie entrave à la concurrence entre les entreprises numériques et, par exemple, la librairie du coin de la rue ou le petit commerce local. Mais il est possible qu’une grande partie de cette imposition nouvelle aille aux États-Unis plutôt qu’aux pays de marché. Vous récupérerez donc de la TVA, et un peu d’impôt sur les sociétés, mais peut-être pas autant que vous le souhaiteriez. Il faut mettre ces constatations en regard des préoccupations de l’AFEP afin de rechercher une position équilibrée, sans oublier que même si les Chinois décident de taxer, l’importance de leur marché ne dissuadera pas les entreprises de s’installer là-bas. On nous reproche souvent d’ouvrir la boîte de Pandore en donnant des droits de taxer à la Chine et à l’Inde : c’est nous faire bien du crédit ! Si ces pays veulent taxer, nous ne pouvons pas les en empêcher ; nos efforts ne visent qu’à établir des règles communes, afin de limiter le désordre.
Nous avons produit un rapport sur l’économie numérique, qui dit fondamentalement que l’économie numérique, c’est maintenant l’économie elle-même : on ne peut pas appliquer de règles particulières à ce secteur, car c’est l’ensemble de l’économie qui est en train de se numériser. Les modèles, y compris dans les secteurs les plus traditionnels, changent à une vitesse considérable. Il faut donc une solution globale. Mettre fin à la double non-imposition, c’est déjà mettre fin à la situation qui provoque les réactions les plus fortes et rétablir une meilleure concurrence ; mais il faut aussi se demander si, dans un monde numérisé, les règles traditionnelles demeurent adéquates. Ne faudrait-il pas examiner d’autres options ? Certains pays s’y opposent, comme les États-Unis, qui ont néanmoins accepté d’examiner différentes pistes de travail, qui seront proposées aux chefs d’État et de gouvernement au mois de novembre. Par exemple, on pourrait imaginer que s’il n’y a pas de présence physique d’une entreprise dans un pays, mais qu’un certain volume de chiffre d’affaires y est réalisé, alors on considère qu’il existe une présence économique qui donne au pays un droit de taxer. C’est une option. L’une des autres options porte, dans la lignée du rapport de MM. Colin et Collin que vous connaissez, sur la collecte des données. Ce serait difficile à mettre en œuvre, et l’on peut peut-être combiner ces deux options. En tout cas, la discussion va se prolonger.
Si les pays ne se mettent pas d’accord, certains prendront, pour des raisons politiques évidentes, des mesures unilatérales – les Britanniques ont d’ailleurs commencé à le faire. Cela ne nous paraît pas souhaitable. Je comprends bien que vous ayez envie d’anticiper mais, comme gestionnaire du dossier BEPS, je préfère des démarches coordonnées.
S’agissant de la transparence, l’accord trouvé à l’OCDE – qui fut très dur à atteindre – stipule qu’il y aura, à partir de 2017, un reporting pays par pays : tous les pays, à commencer par les États-Unis, se sont engagés à demander à leurs multinationales de leur communiquer ce document. Mais la condition pour arriver à cet accord était que seules les administrations fiscales puissent en prendre connaissance ; il ne sera pas public. Cela crée beaucoup de frustrations, notamment parmi les ONG, mais sans doute aussi chez les parlementaires comme chez de nombreux observateurs. Il nous semble que le plus important, c’est bien que les administrations fiscales disposent de cette vision globale de la planification des sociétés, ce qui leur permettra de faire du contrôle de risque et de la vérification fiscale. Les États-Unis nous ont confirmé ne pas avoir besoin de l’accord du Congrès pour exiger ces informations, et ils se sont engagés à intégrer cette clause à leurs conventions fiscales à partir de 2017. C’est là, je crois, une avancée, même si la transparence n’est pas totale.
M. Christophe Caresche. L’OCDE agit ici pour le compte du G20. Mais, quand des engagements sont pris au niveau du G20, sont-ils tenus ? On a vu avec les problèmes de corruption dans les industries minières que si l’Europe a tenu ses promesses, cela n’a pas été le cas des États-Unis, entre autres. Comment organiser un meilleur suivi de l’application des décisions du G20, peut-être sous la forme d’une institution ? Il me semble d’ailleurs que c’était la solution privilégiée par l’OCDE, qui souhaitait un secrétariat permanent. Comment faire pour que les décisions du G20 ne restent pas lettre morte ?
M. Pascal Saint-Amans. Merci de mettre l’accent sur cet aspect de notre action.
On peut prendre un exemple négatif : la réforme des quotas du FMI, qui n’a toujours pas été ratifiée par le Congrès américain malgré les engagements pris au G20 en 2010.
Dans le domaine fiscal, je peux, en revanche, vous donner un exemple de succès : en 2009, le sommet du G20 à Londres a déclaré l’ère du secret bancaire terminée. On aurait pu se contenter de recenser les engagements pris par différents pays – qui comprenaient la Suisse, Singapour, Hong Kong, le Luxembourg... Mais nous avons établi un forum mondial, qui relève de la partie II du budget de l’OCDE, et qui réunit aujourd’hui 126 pays sur un pied d’égalité ; il a pour objet de mettre en place un examen par les pairs des engagements pris par les États. Un reporting au G20 apporte la nécessaire dimension politique : un froncement de sourcils du G20, sur une petite juridiction, ce n’est pas inefficace. Nous avons mis en place deux phases. La première vérifie si les lois ont changé, si le bénéficiaire effectif d’un trust est connu – ce qui répond à votre question sur la fiducie, monsieur Goua –, si l’administration a accès à cette information sans restriction, si les conventions fiscales permettent l’échange effectif de renseignements avec tous les pays qui en font la demande... Aujourd’hui, nous avons réalisé cent vingt examens de phase I et rendu nos conclusions au G20. Et cela marche ! Douze pays seulement sont considérés comme défaillants – et je peux vous assurer qu’ils changent, à l’exception toutefois de Panama. La Suisse, qui a été considérée comme défaillante, a changé sa législation, processus pourtant très difficile ; elle est donc maintenant passée en phase II.
Si la première phase peut prendre très peu de temps – vingt-quatre heures ont suffi aux Îles Vierges britanniques, par exemple – encore faut-il que la nouvelle législation soit effectivement mise en pratique. C’est l’objet de la seconde phase que de vérifier l’effectivité des mesures prises – ce qui ne va pas forcément de soi. À la fin de l’examen de phase II, nous attribuons à chaque pays une note globale. Aujourd’hui, quatre pays sont non conformes : les Îles Vierges britanniques, le Luxembourg, Chypre et les Seychelles. Mais, là encore, ces pays changent très vite, car ils détestent figurer sur cette liste quand le G20 s’énerve. C’est donc là un exemple de succès.
Aujourd’hui, nous avons développé le standard de l’échange automatique de renseignements et recueilli l’engagement de quatre-vingt-treize pays, c’est-à-dire tous sauf le Panama, le Vanuatu, les Îles Cook et Bahreïn – parmi eux, seul Panama est une vraie place financière. Le forum mondial vérifiera, à partir de 2017, par un examen par les pairs, l’application de ce standard.
Quant au plan BEPS, nous en sommes en train d’en débattre : quel mécanisme de suivi allons-nous mettre en place pour nous assurer que les pays ont modifié leur législation, que les engagements sont tenus, les mesures appliquées ? Ces modifications législatives ne sont d’ailleurs pas faciles à mettre en place : nous devrons aider, accompagner les États. De façon très concrète, le standard minimum en matière de lutte contre l’abus des traités devrait faire l’objet d’une convention fiscale multilatérale avant la fin de l’année 2016. Nous irons vérifier que les Pays-Bas, par exemple, l’appliquent bien : ce pays compte, d’après un rapport officiel de son propre gouvernement, 10 000 avocats qui ne vivent que du treaty shopping. Nous vérifierons donc ce qui se passe concrètement. Dans les cas où il n’existe pas de standard minimum, nous essaierons de voir si l’application est cohérente : il faut, en effet, mettre fin à la double non-imposition, mais aussi assurer la sécurité juridique des contribuables. Il ne faudrait pas que notre système tourne à la foire et que chaque pays taxe n’importe comment !
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Membres présents ou excusés
Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 25 mars 2015 à 9 h 30
Présents. - M. Éric Alauzet, M. Guillaume Bachelay, M. Laurent Baumel, M. Xavier Bertrand, M. Étienne Blanc, M. Jean-Claude Buisine, M. Christophe Caresche, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. Pascal Cherki, M. Romain Colas, M. François Cornut-Gentille, M. Olivier Dassault, M. Olivier Faure, Mme Aurélie Filippetti, M. Marc Francina, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Claude Goasguen, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, M. Laurent Grandguillaume, Mme Arlette Grosskost, M. Yves Jégo, M. Jérôme Lambert, M. Jean-François Lamour, M. Dominique Lefebvre, Mme Véronique Louwagie, M. Hervé Mariton, M. Pierre-Alain Muet, M. Michel Pajon, Mme Christine Pires Beaune, Mme Monique Rabin, M. Alain Rodet, Mme Eva Sas, M. Michel Vergnier, M. Philippe Vigier
Excusés. - M. François André, M. Dominique Baert, Mme Karine Berger, M. Gaby Charroux, M. Alain Claeys, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Henri Emmanuelli, M. Jean Lassalle, M. Jean Launay, M. Patrick Ollier, Mme Valérie Pécresse, Mme Valérie Rabault, M. Laurent Wauquiez, M. Éric Woerth